Sur le plateau

On vous a déjà parlé du Plateau ? Je sais plus mais sans doute pas assez. Si Dakar était un jeu vidéo, le quartier du Plateau serait le niveau final. On y retrouve tous les éléments des autres quartiers mais en plus nombreux et plus difficiles. C’est le quartier qui, lorsqu’on en parle à un toubab, transformera ce-dit toubab en cliché de film d’horreur: les yeux exorbités, il s’accrochera à votre bras et vous suppliera d’une voix tremblante « non… il ne faut pas aller là-bas … JAMAIS ! »

Alors par où commencer dans ce capharnaüm d’habitants, vendeurs de rue, charrettes voiture, suv, scooter ? Par cette rue des métallurgistes. Quatre qui bossent sur une grille et six assis en brochette sur des chaises faites maison. L’ambiance de métal établie par la décoration en vrac de fer, de zinc d’aluminium, de cuivre est soulignée par le son strident de la scie circulaire de l’autre côté de la ruelle. Maniée avec professionnalisme et sécurité: les yeux sont protégés par une paire de raybon tombée du camion et les pieds par des tatanes de sécurité.

Continuons à pied et tournons dans cette rue qui ressemble à toutes les autres. Un coup à droite, un coup à gauche et on se perd dans ces ruelles bondées. Les points de repères sont impossibles à conserver, tant un vieux bâtiment ressemble à un autre vieux bâtiment. Alors là nous avons un peu d’espace. Il est donc logiquement investi par des vendeurs en tous genre. De chaussures par là: un carré un mètre par un mètre et un alignement bigarré de chaussures clinquantes. Chaque périmètre a son champ de spécialité. Ici les baskets, là les tatanes-moumoutes et là encore les chaussures à talons. Un peu plus loin c’est plutôt les puces, cadenas, zinguerie ou bricolage. Encore plus loin, un peu de fruits et légumes puis de nouveau les puces avec du matériel de deuxième, troisième voire quinzième main, cadenas ampoules, clefs et bricolage.

Maintenant que nous sommes bien perdus dans ce labyrinthe grouillant, il est difficile de remarquer la présence de deux énormes 38 tonnes. Ils ont la couleur de camouflage urbain: crasse et poussière, et ne choquent donc pas si on ne se pose pas la question de savoir .. mais comment diable ont-ils pu arriver jusqu’ici dans les embouteillages et ces rues si étroites ? Il est possible aussi d’observer l’ordre particulièrement inutile du policier juste derrière. Un stop de la main arrête le 4×4, ok c’est bien, mais les alternatives c’était quoi ?
Réponse a: je m’encastre dans le camion
Réponse b: je m’écrase contre une charrette à bras
Réponse c: j’emboutis la cahutte du vendeur de café touba

La charrette à bras c’est quoi ? c’est comme une charrette tirée par un cheval mais en fer et poussée par un golgoth sénégalais. Il y en a plein les rues, et leur vitesse n’est pas altérée par la charge. A vide ou sous 400 kilos d’oignons, le pousseur n’a ni temps ni envie de t’éviter donc range tes fesses. Ils sont vaillants et transportent tout et n’importe quoi: vieux ordis, ferraille, oignons, fruits, vêtements, pneus, et j’en passe.

Une marée humaine homogène, des centaines d’hommes, qui en habit traditionnel, qui avec un tapis sous le bras et par terre des dizaines d’autres sur des tapis similaires, tous agenouillés et tournés dans le même sens. C’est vendredi, il est 14h30 et vous êtes au Plateau. C’est une ferveur que seul l’Islam engendre encore et il est difficile de ne pas être impressionné par cette communion généralisée, même si très très masculine. Mais il n’y absolument rien d’effrayant. Il n’y a aucune panique et il est facile de s’y mouvoir même à contre sens.
Islam toujours, les autres jours, ce sont les petites bouilloires en plastique colorées et zébrées qui parsèment les trottoirs. Elles sont utilisées pour les ablutions.

Il y a eu ces mois derniers d’énormes efforts pour désencombrer le centre ville. Et ça se voit. Enfin cela n’aurait pas été flagrant pour nos nous du passé.

Ensuite il y a ce phénomène spatiaux temporel étrange. Derrière pas mal de portes on se retrouve tout à coup comme téléporté en Europe. Dans le magasin d’ameublement Orca par exemple, à l’extérieur c’est la jungle urbaine mais l’intérieur n’a rien à envier au plus nordique des IKEA finlandais. A part le personnel qui est peut être un peu moins efficace. De même au restaurant chez Farid une fois la porte passée, les bruits et le remue-ménage de l’extérieur sont promptement oubliés pour laisser place à un confort d’un autre monde. Le contraste est exacerbé dès la sortie, en effet à peine le gardien en uniforme salué et on se retrouve vite nez-à-nez avec un vendeur qui propose des cartes orange money scotchées les unes aux autres, et un autre qui recèle des chaussettes neuves ou des casquettes.

Si vous souhaitez découvrir ce monde extraordinaire, il faudra venir nous rendre visite au Sénégal !

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